Défis fous : Arnaud de Meester repousse les limites mentales en triathlon
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- mardi 25 septembre 2018
- la rédaction
Et si le grain de folie était gage de réussite de défis les plus extrêmes en triathlon ? L'histoire sportive du Belge Arnaud de Meester illustre pleinement la dose d'inconscience dont il faut disposer pour s'engager du jour au lendemain sur une course cycliste de 140 kilomètres sans jamais avoir fait de sport. Et, dans la foulée, enchaîner des épreuves, non, des défis surhumains, taillés sur mesure.
Cette histoire belge peu commune pousse également à la réflexion sur la dimension mentale de l'engagement sportif, avec laquelle les Kenyans par exemple, se sont distingués en athlétisme. Si nous ne sommes pas tous constitués de la même façon, au niveau physique, c'est également le cas au niveau mental comme l'illustre le récit palpitant d'Arnaud de Meester et de ses triathlons de l'extrême...
Cette année, Arnaud de Meester pensait arrêter le triathlon et les défis sportifs. Décompensation post-épreuve ou limite du mental face à la douleur infligée au corps alors qu'il sortait de son dernier 666 (6 km natation, 600 km vélo et 60 km course à pied) et de deux triathlons au format Ironman.
Pourtant, à l'écouter, il n'y aurait pas de limites physiques tant celles-ci peuvent être repoussées toujours plus loin. Alors, oui, lorsque le triathlète a vu dernièrement l'exploit de cette jeune femme sur l'Enduroman (challenge A2A) qui a couru les 140 km de Londres à Douvres avant de traverser la Manche à la nage (50 km) pour enchaîner avec plus de 300 km de vélo afin de rallier Paris, il n'a pas résisté.
« J'ai été totalement absorbé par la force et l'ambiance de ce challenge, j'en ai pleuré ! C'est rare que je ressente cette émotion d'autant que je voulais arrêter... Cela m'a fait un choc, je me suis dit qu'il fallait le faire. J'ai réuni une équipe après avoir pris les renseignements. Et je suis reparti sur cet objectif pour 2019 ! », raconte l'ultra-triathlète qui, depuis ses débuts sportifs en 2010, à l'âge de 39 ans, en a vu de toutes les couleurs.
Coup de force ou coup de folie ?
Arnaud de Meester est entré dans le sport, sur le tard, et de la façon la plus improbable qui soit, marquant d'emblée son goût pour l'extrême. « Un ami m'a parlé d'une course cycliste de 140 kilomètres qui s'organisait une semaine plus tard. J'ai tout de suite été séduit par l'événement. Et, le lendemain matin, j'ai appelé des amis pour trouver un vélo que j'ai fait régler dans la foulée chez le marchand de cycles du coin... », relate ce professionnel de l'événementiel qui n'avait alors jamais fait de sport. « Je me disais que je terminerai bien, et que je ne serai de toute façon pas le dernier ! »
Il en rit encore. S'il a certes terminé l'épreuve, après un départ très rapide sur les 40 premiers kilomètres, en revanche, il est bien arrivé dernier. « Dès le mardi suivant, à l'ouverture, j'ai été acheter un vélo d'occasion. Cela a été le début de l'entraînement. Ma satisfaction ? D'avoir remporté cette même course cycliste, deux ans plus tard ! »
Le novice découvre surtout une ambiance sportive à laquelle il adhère complètement : « un jour, lors d'une sortie vélo, j'ai été surpris de côtoyer un banquier d'affaires discutant vivement avec un facteur, presque intimes, et surtout sans barrière sociale ni vestimentaire. C'est ça qui m'a fait basculer dans le sport, ses valeurs et son esprit convivial », relève-t-il.
Mais son rite initiatique sur les épreuves enchaînées, il le vit d'abord à l'invitation d'un ami luxembourgeois à prendre le départ du triathlon sprint d'Echternach. L'ambiance l'impressionne. « J'avais fait la fête la veille, j'étais un peu sec. Mais quand j'ai vu l'ambiance, j'ai dit à Jean-Louis que l'organisation était impressionnante, notamment avec toute cette partie transition... »
Il n'en fallut pas plus pour qu'il attaque l'entraînement sérieusement et grimpe rapidement sur les distances les plus longues. Un 70.3 de Zürich « vraiment dur », puis les triathlons au format Ironman de Roth, d'Almere, le Swissman extreme triathlon ou le triathlon d'Abu Dhabi... « J'ai récemment refait les Ironman de Vichy et de Roth. J'adore. J'adore les gens, tous avec la même détermination, le respect des autres, voire l'admiration... C'est en tout cas mon sentiment lorsque je vois, par exemple, de jeunes triathlètes s'élancer sur ces formats », remarque Arnaud de Meester.
De l'ultra-triathlon sur mesure...
C'est simple : si vous ne trouvez pas un défi à votre mesure, créez-le ! C'est là que le spécialiste de l'événement, et fondateur du premier triathlon au format Ironman Belge Belman.be à sa septième édition (qui passait il y a 3 ans encore sur la piste de Formule 1 de Spa-Francorchamps). Ainsi, Arnaud, puisqu'il s'agit de lui, se lance dès 2014 dans la création d'une épreuve unique, son challenge ultra-Knokke, qu'il doit relever.
« Sur les premiers Ironman, j'avais pu constater que je n'étais pas très rapide », observe le triathlète. « En revanche, je récupère très vite et je suis très endurant ! » Un constat qu'il va éprouver à plusieurs reprises, suite à une rencontre fortuite. « J'étais invité par un club de sport qui organisait un relais sur vélo d'intérieur de 10 fois une heure. Je m'y suis rendu, et j'ai proposé d'enchaîner les dix heures. C'est à cette occasion que j'ai rencontré Philippe Duboisdenghien, coach mental, qui est devenu plus qu'un ami. Il m'a accompagné dans mon changement radical de vie, et l'abandon de mon passé, qui n'avait pas vraiment de fond... »
C'est donc sous son influence qu'Arnaud de Meester constitue une équipe qui va l'accompagner sur un premier défi d'ultra-Knokke constitué de 5 km de natation dans le lac Lakeside Paradise de Knokke enchaînés avec 280 km de vélo pour terminer par un marathon. Un pari, une équipe pour l'accompagner et un challenge en solitaire qui va le pousser à une préparation toujours plus intensive.
C'est alors une révélation et les bases de défis toujours plus longs. Car, ce préambule vers la recherche de ses limites ne va plus avoir de fin. Celui qui ne peut s'empêcher de créer toujours de nouvelles épreuves va, avant de se lancer sur l'ultra-Knokke 2, monter Papillon by night, le premier Ironman totalement de nuit. « Je n'en avais trouvé aucun. J'ai donc créé l'événement. Après une natation en piscine découverte à Bruxelles, j'ai déroulé les 180 km de vélo avec deux motards et un véhicule entre Belgique et Hollande avant de courir le marathon. Cette épreuve originale constituait une préparation pour ma montée en charge sur l'ultra-Knokke 2 ! »
Never give up, ne rien lâcher
C'est son coach mental qui lui dit : « et pourquoi pas plus long ? » Il ne fallait pas en dire plus à l'accro aux longues distances qui va partir dans une dérive presque sans fin.
C'est ainsi que se monte l'ultra-Knokke 2 et ses 5 km de natation en lac enchaînés avec 420 km de vélo pour terminer par 50 km de course à pied. « Il arrive un moment où l'on se dit, au-delà de la difficulté, que l'on a de la chance de faire ce que l'on fait. Ce n'est plus une épreuve individuelle, mais le résultat d'un travail d'équipe, de l'implication de tous autour d'un projet commun. Et, dans ce sens, je ne veux pas décevoir », souligne Arnaud de Meester qui pousse l'extrême à ne jamais manquer une séance d'entraînement. « Si jamais j'en manque une, je la reporte au lendemain, il faut que cela entre dans mon planning professionnel et familial », témoigne le triathlète, qui ne veut y voir que plaisir.
Aussi, l'ultra-man n'hésite-t-il pas à se réveiller à 4 heures du matin pour partir courir deux heures. « En rentrant, je dors une demi-heure avant d'aller travailler. C'est important de bousculer le corps pour lui apprendre à s'adapter aux diverses situation ou à tout imprévu. C'est cette souplesse que j'ai appris à acquérir ces dernières années ! »
Le chiffre du diable lui est donc soufflé ! 666. 6 km de natation, 600 km de vélo et 60 km de course à pied. Le défi pour la version (finale ?) du triathlon ultra-Knokke 3. Le cran est relevé. Mais tant en 2016 qu'en 2017, Arnaud de Meester suivi de son équipe, du médecin, des médias va relever le défi en moins de 50 heures d'affilé.
Sur l'édition 2016, sur son circuit entre Belgique et Hollande, il va pousser le bouchon très loin. « Je m'étais rasé l'arrière-train avant la course - ce que je ne fais jamais. Mais les poils ont repoussé fort. Aussi, sur les 600 kilomètres de vélo, j'ai commencé à avoir le fessier en sang. Cela devenait insupportable. Aux cinq centièmes kilomètres, c'était intenable et le médecin m'a fait une petite anesthésie... Mais cela n'a pas tenu longtemps. Du coup, j'ai terminé les cinquante derniers kilomètres en danseuse. Je ne pouvais plus poser les fesses sur la selle ! »
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Les 600 kilomètres bouclés, avant d'attaquer les 60 bornes de course à pied, il demande une nouvelle anesthésie avant d'être sidéré par la réponse du médecin : « non, Arnaud ! Je ne vais pas t'anesthésier, sinon tu ne termineras pas la course à pied. Il faut que tu te serves de la douleur pour aller jusqu'au bout... » Dépité, dans le mal, Arnaud de Meester repart, dans la douleur, puisque le frottement régulier le fait hurler. Pourtant, les conseils du médecin s'avèreront justes, sa blessure n'évolue pas, et le mal le tient en éveil jusqu'à l'issue de cette diabolique épreuve.
« Plus d'oxygène dans le sang ! »
L'année suivante, le triathlète inscrit son triathlon 666 en Islande. « Je rêvais de faire un tour des pays nordiques. Mais l'agence de voyage m'a dit que les distances étaient trop importantes. Avant de me proposer l'Islande, ses décors naturels et sauvages, et surtout ses habitants merveilleux. » Un univers qu'il apprend à découvrir en reconnaissance, à adopter avec ses aléas capricieux.
« Je reconnais toujours avant le terrain des différentes épreuves, plus encore pour ce genre de challenges sportifs. Et, là, j'ai été réellement subjugué par l'environnement, sa météo qui pouvait changer brusquement au détour d'une montagne. Il y avait une dimension plus forte encore que la précédente épreuve où j'avais souffert de la canicule. Et, l'épreuve a été réellement très rude ! »
Et dès le début de la course, en ce mois de juillet 2017, Arnaud de Meester cale au troisième kilomètre de natation. L'eau islandaise à 8° C le stoppe. « J'avais fait le test auparavant, pris les douches glacées, entraîné le corps à ces conditions. Il n'y avait aucune raison que cela ne passe pas. Alors, j'ai eu recours à toute ma préparation mentale et fait un travail sur moi-même ! » Et sa prédisposition mentale vainc. Il repart, achève gelé, mais sous l'émotion du spectacle grandiose qui se dévoile à ses yeux, à la fin de la première des trois disciplines.
Le parcours de 600 km de vélo est loin d'être évident. Arnaud de Meester doit jongler face à la lassitude, en s'appuyant sur l'engagement de toute son équipe, ou en affrontant des conditions météos changeantes, avec parfois des vents orageux de face... « Le cadre était magnifique ! Et, il ne fallait pas que j'oublie pourquoi j'étais là. L'exploit d'un groupe de personnes. Je l'ai vu à la fin du vélo. Après avoir posé le vélo, je n'ai réussi à dormir que trente-cinq minutes. Mais quand je me suis éveillé, tout le monde dormait, avachis. C'était un spectacle de désolation. Plus un bruit. Le coach affalé sur la table. Le photographe endormi sur le canapé... », raconte-t-il.
Alors, impatient d'en découdre, il repart sans attendre. « Je ne voulais pas les réveiller même si une personne contrôlait si j'effectuais bien les distances », poursuit Arnaud de Meester. Il est cependant rapidement rattrapé par le médecin qui lui demande: « Arnaud, jusqu'où allons-nous ? » Jusqu'au bout, évidemment. Mais celui-ci ne le lâche plus. Il déroule ses cinq boucles de 12 kilomètres. Mais, 6 km avant la fin, il titube. Le médecin l'arrête, teste son sang, pour voir s'il peut continuer. « - Que comptes-tu faire ?, répète-t-il. - Terminer ! »
« Ce n'est qu'après la course que j'ai appris que je n'avais pratiquement plus d'oxygène dans le sang, que le médecin se demandait comment je tenais encore debout et était resté juste derrière moi sur la fin des 60 km à pied, s'attendant à me voir tomber à chaque pas... », raconte l'homme au mental d'acier, terminant encore ce 666 islandais en moins de 50 heures.
« Tout le monde peut le faire »
Arnaud de Meester en est convaincu. Même si lui a bénéficié du soutien exceptionnel de son équipe, les défis extrêmes sont à la portée de tous. « Chacun, à son niveau, peut dépasser ses limites physiques tant le mental permet de les repousser. Quelle plus grande satisfaction que d'entendre Charly, quelqu'un que je ne connaissais pas, que j'ai encouragé à vaincre son challenge à lui. Il l'a terminé en me remerciant parce que mon témoignage lui avait permis d'aller au bout. Ce jour-là, je me suis dit que tout ce que j'avais fait avait réellement du sens. »
Pourtant, face à l'incompréhension de proches concernant ses épreuves toujours plus dures ou ses 25 heures d'entraînement hebdomadaires, Arnaud ne trouve qu'une réponse : « vous ne comprenez pas ? Alors, faites-le ! »
La douleur, le doute, l'endurance physique, la résistance mentale sont autant de sensations sur lesquelles l'ultra-triathlète puise son équilibre. « J'ai toujours aimé les défis : je n'aime pas rester dans ma zone de confort. Surtout, le fait que l'on me dise que c'est impossible m'incline à essayer, vouloir vérifier. »
Ironie de l'histoire, Arnaud de Meester a voulu soutenir dès le début une association caritative bien particulière. « Il m'a semblé important d'aider des personnes à mobilité réduite », souligne-t-il. Alors que lui va devoir démontrer, une fois encore dans les prochains mois, qu'il est apte à bouger. « La participation à l'Enduroman est conditionnée à la réussite d'une épreuve de 10 heures de natation et une autre de 110 km en course à pied », de nouveaux défis qui ne risquent pas de manquer de sel.